Le fantôme frappeur

Une petite histoire mignonnette, une petite anecdote qui concerne une nuit d’hiver à Eus en 1872 dans la maison de mes arrière-arrière grands parents, Joseph Argence (1824+1885) et Thérèse Dalmer (1835+1900).

Joseph est brassier, terrassier, bûcheron, cultivateur propriétaire. C’est son métier de terrassier qui tuera Joseph en 1885, quand une grosse pierre qu’il tentait de dégager l’écrasa.
Thérèse est cultivatrice malgré la charge prenante de 8 enfants à élever. En 1872 elle a quand même perdu 4 bébés âgés de 2 jours à 2 ans. Thérèse est une mère incroyable, protectrice, peut-être pour effacer le traumatisme de l’abandon par sa mère, qui l’avait déposée au « tour » de l’Hôpital de Perpignan, mais l’avait reconnue deux ans plus tard. Thérèse, enfant naturelle, était fille d’enfant naturelle, fille d’enfant naturelle. Un malheur répété sur trois générations.

En ce soir d’hiver, Thérèse a confié la garde des « grands » et de la petite Marguerite, à peine âgée d’un an, à sa fille aînée, Mariangélique qui en avait 17, et une solide expérience.
La parenthèse temporelle se passe au domicile familial, 8 carrer del Massador, une jolie maison à deux niveaux dont on joint le grenier par une passerelle depuis la rue. Les enfants ont été laissés seuls car il y a eu un décès. Il est alors d’usage pour les voisins et la famille, de veiller au domicile du défunt, toute la nuit, durant trois jours. Dans ce village où tout le monde était plus ou moins en parenté, parfois sans le savoir, les veillées étaient fréquentes, car le malheur connaissait toutes les adresses et frappait, souvent, à toutes les portes.

Les petits ont l’habitude de l’autorité de Mariangélique qui sait faire régner l’ordre. Elle les fait coucher de bonne heure, et, ses tâches effectuées, décide de se coucher tôt elle aussi, pour avoir moins froid. Les enfants sont impressionnés par ce décès qui les prive tout le même de la présence de leurs parents ; ils n’en parlent guère, mais de drôles d’images circulent dans leurs petites têtes.
Pierre, 4 ans, a bien essayé de gagner du temps, en claquant des dents, recroquevillé en boule, crispé et tracassé : « Le lit est froid ! » Mais sa sœur avait le remède imparable appris de leur mère qui le tenait de la sienne … « Allonge bien tes jambes, d’un coup, et puis compte à haute voix jusqu’à 30. A 30, tu auras chaud ! ». Le pauvre petit Pierre étira ses jambes d’un coup, en tremblant un peu, et lui dit « non, compte, toi ! ». Mariangélique compta, sans se presser, pour que le miracle cent fois renouvelé se renouvelle. « Oui, c’est vrai, j’ai chaud maintenant ».

Le vent hurlait dehors et les enfants n’étaient pas tranquilles dans cette maison éclairée à la bougie, d’une flamme vacillante sous les assauts des bourrasques. Dans le silence de la nuit, quelqu’un frappa à la porte… BOUM ! BOUM !

Ils tressaillirent et Mariangélique, appliquant les consignes, n’ouvrit pas. Les coups continuèrent boum, boum, boum. C’était forcément le fantôme du défunt qui voulait entrer dans leur maison. Pierre se cacha sous les draps, le cœur battant et Marguerite pleurait.

BOUM ! BOUM ! BOUM !

Mariangélique s’énerva et s’élança vers la porte en s’écriant « ah, maintenant, ça suffit !!! » Elle ouvrit d’un coup, et découvrit alors la cause de leurs tourments, une branche, malmenée par le vent, qui frappait. Elle prit de quoi l’attacher et mit fin aux angoisses des petits, et d’elle même aussi, car, si elle ne voulait en convenir, elle était elle-même bien tracassée.

C’est ainsi que le défunt, qui était peut-être quelqu’un de la famille, a pu rentrer chez lui, goûter l’odeur de suif des veilleuses et prendre part silencieusement aux récits que l’on faisait de lui, en pleurant, mais en riant aussi parfois.

– Catherine Argence

 
Chez Joseph et Thérèse Argence

Créé par David Argence
(Baeserta : Divinité celtique des Pyrénées • Déu celta dels Pirineus)