22 octobre 1749, arrestation de Marie Argence à Buillac.
Elle a 6 ans, c’est le jour de son anniversaire
Acte notarié extrait d’un minutier d’Alexis Berniole, notaire à Querigut (Ariège) déposé aux Archives départementales de Foix – Cote 5E 2563
❞ L’an mil sept cent quarante neuf et le vingt deuxième jour du mois d’octobre après midi, dans le lieu de Roquefort en Fenouillet, par devant nous notaire et témoins bas nommés, a comparu Mathieu Argence surnommé Raoüls, tisseran, habitant du présent lieu d’une part, et le Seigneur Louis Vaissière receveur des fermes au présent lieu faisant pour Me Tibault La Rue adjudicataire général des Gabelles de France suivant le pouvoir verbal à lui donné par Maître Danastazy capitaine général des fermes du département de Caudies, qui nous dit savoir le dénommé Mathieu Argence, que Marie Argence sa fille aurait été arrêtée par les employés de la brigade du dénommé Roquefort portant sept livres de sel de pecais suivant leur verbal du 12 octobre 1748 et par conséquent avoir encouru l’amande de cent livres portée par les ordonnances du Roy et qu’ayant prévu les frais que cette affaire pouvait lui causer, il aurait sollicité et fait prier le Seigneur Danastazy de vouloir la terminer à l’amiable, lequel ayant considéré sa pauvreté et sa nombreuse famille lui aurait sous le bon plaisir de la Compagnie modéré ladite amande à la somme de douze livres et les frais, ce que le dénommé Seigneur Vaissière nous a assuré et dit avoir reçu du dénommé Argence la somme de douze livres et les frais, dont le tient quite et promet de l’en faire tenir par la Compagnie et le Seigneur Danastazy, moyennant quoy le dénommé Argence promet de ne plus récidiver, le soumettant en ce cas aux peines de l’ordonnance. Sous ce observer les parties obligent et soumettent leurs biens aux rigueurs de justice.
En présence du Seigneur Pierre Deniort, marchand appothicaire d’Escouloubre et de Guilhaume Verdier de ce lieu qui ont signé avec nous notre nom Argence pour ne savoir. ❞
Marie Argence a été arrêtée par les employés de la brigade de Roquefort. Elle portait pour sa famille 7 livres de sel de Pécaïs.
Le sel de Pécaïs provenait d’une localité de ce nom, en bordure de mer, près d’Arles en Provence (Terre d’Argence).
Il était d’une qualité inférieure et d’un prix moins élevé que celui offert habituellement : environ moitié moins cher.
Le sel était d’une nécessité absolue pour tous les ménages. En ce temps-là, cette denrée représentait le seul moyen de conserver les aliments. Le bétail en était friand : afin d’exciter son appétit, le paysan en répandait avec parcimonie sur les foins engrangés pour l’hiver. De même l’été, en montagne, de larges pierres salées parsemaient les estives.
La Gabelle !
Voici l’objet de tous les ressentiments, des haines et de la corruption.
Cet impôt, établi sur la consommation de sel, fit le malheur de nombreuses familles. En effet, chacune d’elles avait l’obligation d’acheter une quantité minimum aux « regrattiers », employés des greniers à sel.
Le prix en était si élevé que la fraude devenait un besoin pour les gens des campagnes. Le minot de sel (40 livres environ en poids) valait 15 livres (monnaie).
Marie Argence est inculpée. Le jour de son arrestation elle est âgée de six ans. La date de son anniversaire tombe dans cinq jours ! Mais elle est surtout l’aînée de quatre enfants. C’est un titre qu’elle défend dans son cœur et dans son travail, déjà ! Les parents sont désolés. L’amende qui les menace va détruire tous les espoirs familiaux. Il faut réagir, transiger ou s’enfuir. Mathieu, le père, presse ses démarches. Ses amis sont nombreux : Les Sieurs Campoussy et Roques, anciens bayles de Roquefort, les consuls.
Tous connaissent la position difficile et les problèmes des habitants. L’amende sera réduite à douze livres au lieu de cent. Résultat qui paraît surprenant, mais les services de répression surestimaient le prix du délit pour effrayer les contrevenants, pour avoir une grande marge de diminution d’amende, et par cette fausse mansuétude se concilier la reconnaissance (servile) des pauvres gens.
Ainsi, nous avons noté un nombre important de procès. Les gabelous arrêtaient les gens dans la nature, les fouillaient, venaient perquisitionner en leurs masures. Par exemple, la femme de Jean Gayou de Builhac sera surprise sur le chemin du Bousquet, transportant un demi quart d’once de sel de Pécaïs. Le poids de cette prise : quelques grammes de sel. Coût de l’amende : six livres plus les frais, après réduction. Jean Gayou était dans un état de pauvreté pitoyable et venait de se « casser une cuisse ». Les contrevenants obtiennent souvent un abattement de leurs amendes pour cause de pauvreté. Le paiement prévu par la loi les aurait contraints à la mendicité. Ces transactions ont toujours fait l’objet d’un acte notarié, c’est pourquoi nous pouvons les communiquer aujourd’hui.
En l’année 1749, le Receveur des fermes du Roy se nommait Louis Vaissière. Il commandait dans notre village une phalange policière composée de brigadiers et soldats, tous étrangers au pays, cela se comprend !
Il s’est retiré à Roquefort de Sault dans la maison familiale. Son travail est d’une richesse inestimable. Que grâce lui en soit rendue. L’accès à ses archives a considérablement facilité les miennes, alors que les mises en ligne départementales se sont fait beaucoup, beaucoup fait attendre. Pour chercher sur place, il fallait donc arriver à poser une journée de congé, et parcourir les kilomètres.
Merci donc à cette famille généreuse et si gentille.
Catherine Argence
L’historien Yves Durand note qu’en 1763, en France, pour cette seule année, 6600 enfants 2500 hommes et 2000 femmes « faux-sauniers » furent arrêtés sur les routes par les gabelous. Beaucoup d’entre eux allèrent peupler les bagnes et les galères. Les douaniers avaient, pour notre région (le Razès), un bureau à Belcaire et Roquefeuil, un à Aunat et un autre à Roquefort. Ces trois bureaux dépendaient du département de Caudies (PO).